Mustradem - Musiques Traditionnelles de Demain
Newsletter #70 mai juin 2021
Édito Sur les pentes

J'ai revu Marc Ferro. Une nuit que je gravissais, à pied, les pentes du Vercors. Il faisait bien plus jeune qu'à notre dernière rencontre, voilà 30 ans. J'avais été son élève, à mon époque parisienne. Il dénotait, à cette époque de structuralisme universitaire encore tranchant, par le refus du jargon, et sa bienveillance à dévoiler, devant nos yeux ébahis, les rapports cachés entre des objets d'une apparente simplicité : cinéma, histoire et société. Sa méthode était simple : il nous passait des films, en entier, pendant lesquels, les connaissant par cœur, il allait boire du café, faire ses courses ou travailler à autre chose, ensuite il revenait et nous les décortiquait selon deux axes : «lecture historique du film, lecture cinématographique de l'histoire» (1); entre cours magistral, et conversation à bâtons rompus avec la poignée d'étudiants que nous étions, non sans une pointe d'humour goguenard qui m'allait bien. On touchait là du doigt les ambiguïtés du cinéma de Jean Renoir, ou les complexités qui tiraillaient de l'intérieur des films de propagande soviétique (2).
Devant la France entière, ça donnait l'émission Histoires parallèles, actualités filmées des années 30-40 décryptées avec 50 ans d'écart par un aréopage d'historiens, merveilleuse série qui passionna suffisamment le public pour être diffusée pendant 10 ans, le samedi à une heure de grande écoute, oui, on croit rêver, bref, et qui valut à Ferro une tranquille célébrité.

Là, à mi-pente, il est pressé, mais me demande quand même ce que je deviens. J'essaye de lui résumer 30 ans d'aventures musicales qui m'ont écarté, sans regret, de l'Université. Vient un moment où j'entame un refrain que connaissent bien mes compagnons d'apéro : il a de la chance, lui. Cinéma et histoire sont des termes qui parlent à tout le monde. Il n'agit pas en terrain glissant, brumeux ni crépusculaire de la contre-culture, mais au soleil d'une éclatante rationalité. Il taille des carrefours, et rassemble, avec la sérénité de l'amateur de chemins de traverse qui fait le job et voit que ça marche. Et tout ça finit à la télé, en prime time, avec pipe et cravate.

Or, dites musique traditionnelle, folk, trad ou néo-trad devant un non-initié, et avant même d'avoir dégainé un instrument, vous voilà parti pour des heures de chinoiseries qui flanquent la migraine à tout le monde, jusqu'à ce que quelqu'un vous explique que tout ça, c'est jamais que de la musique celtique. Vous hésitez alors entre le gourdin, l'aspirine, ou une retraite durable du côté de la Grande Chartreuse. Et surtout, vous vous résignez à faire, à jamais, partie d'une sorte de secte en terrain plat, où la musique sert avant tout d'emballage jetable à la danse, condamnée à l'autarcie, et ignorée des politiques et des médias, ce qui au final semble arranger tout le monde. Un milieu foisonnant, d'une créativité incroyable, qui réinvente inlassablement toute la musique traditionnelle d'Europe de l'Ouest depuis tantôt 50 ans, à la barbe des institutions, mais infoutu de réfléchir par lui-même une pensée globale (seule la FAMDT...), sans buter sur d'improbables clivages esthétiques internes, ou tout simplement un manque d'intérêt pour les pratiques du voisin ; et surtout de la transmettre.

Je rêve, quant à moi, d'une sorte de Trad Center, oui, un peu comme un Eros Center, en plus rigolo. On viendrait y écouter Dédée Duffault et Catherine Perrier, Yvon Guilcher et Alan Stivell, Malicorne et Mélusine, Jacques Pellen et La Chavannée, René Zosso et La Nòvia, du folk au rock, du modal au tonal, de l'impro à la mélodie, du bourdon au cluster, du Moyen-Âge aux collectages...L'histoire de la musique vue par un autre prisme que celui des musiques tonales tempérées. On viendrait y apprendre à danser avec Geneviève Chuzel, à jouer avec tout le monde. Radio France camperait là, à demeure. Et surtout on apprendrait à associer ces musiques, pas seulement au passé, mais au monde qui les produit ; à faire du lien entre tout ça, avec une valise d'outils solides : histoire, ethnologie, sociologie. Enfin, pour organiser ce bazar, on vous donnerait un fameux pognon, qu'on piquerait au nucléaire, à l'armée, aux religions (ces marchandes de spectacle mort), aux menteurs en batterie, à l'élevage intensif, aux actionnaires de tout poil, et blabli et blabla, on ne m'arrête plus sur cette pente savonneuse.
Il se fait tard, il finit par m'interrompre. « En fait, si ce que vous voulez, c'est le néo-trad à la Sorbonne, dites-le carrément, mon jeune ami. » Il en a de bonnes, lui, mon jeune ami. Sous la lune il fait vraiment beaucoup plus jeune que moi, surtout cette nuit. Mais voilà qu'il doit me laisser. Il prend sa course, et disparaît sur les chemins  qui descendent vers Grenoble. Bientôt, sur ses talons, passent devant moi sans me voir, à grande allure, des chiens hurlants, et des soldats en uniforme allemand...

...C'est à mon retour dans le monde réel, après un réveil tâtonnant, et déniaisé par mon Ricoré matutinal, que je trouve dans ma boîte mail un envoi de Michel Lebreton. Voilà que le camarade Michel (cofondateur de Cric Crac Cie à Villeneuve d'Ascq, prof de cornemuse au Conservatoire de Calais) met à profit une retraite bien méritée pour lancer pour la rentrée un joli projet : un recensement des structures d'enseignement qui nous concernent, et surtout une étude des spécificités pédagogiques de chacune, et des musiciens et danseurs qui y exercent. On s'y intéressera à ce qui nous différencie, et à ce qui nous rassemble. À ce qui donne sens à nos métiers.

Vous avez mis au point une méthode d'enseignement de fabrication d'anches de cornemuse en carton recyclé ? Appelez Michel. Votre stage draine 150 amateurs venus du monde entier sans un centime de subvention ? Vous enseignez la guimbarde au Sup de Paris ? Appelez Michel. Vous avez découvert de nouveaux modes issus de la gamme majeure ? Appelez Michel. Vous diffusez 92 nouvelles figures de kost ar c'hoad ? Appelez Michel. Apportez de l'eau au moulin de son enquête. La première pierre est posée. Encore un petit effort, et vous allez voir. L'Eros Trad Center, on va y arriver (3).

                                                                                            À Marc Ferro (1924-2021).

Christophe Sacchettini
tofsac@mustradem.com 

 

(1) Marc Ferro, Cinéma et histoire, p.18 (Médiations, Denoël / Gonthier, 1977).
« Partir de l'image, des images. Ne pas chercher seulement en elles illustration, confirmation, ou démenti à un autre savoir, celui de la tradition écrite. Considérer les images telles quelles, quitte à faire appel à d'autres savoirs pour les mieux saisir. (…) Il reste à étudier le film, à l'associer au monde qui le produit. » (p.102)

(2) Ces échappées hebdomadaires dans cette petite salle du boulevard Raspail me sortaient d'une autre salle perdue aux détours d'un escalier fantôme, à flanc de Sorbonne, dans les tréfonds de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, où, avec Hélène Puiseux, j'explorai pendant 5 ans « la capacité qu'a le cinéma de créer et d'entretenir des mythes palliatifs » (comment allez-vous, chère Hélène ?)

(3) On brûle, comme disait Erostrate. Santé  !

 
IN SITU BABEL

L'équipe d'In Situ Babel (Marie Mazille, Norbert Pignol, Patrick Reboud, Christophe Sacchettini, Fabrice Vigne et Léa Dessenne) continue son travail sur l'agglo d'Annemasse (74) jusqu'à fin 2021.

Une websérie est en cours, avec la Cie Les Veilles (2 épisodes visibles ici), et un livre est à l'étude pour rendre compte de cette résidence qui continue contre vents et marées pandémiques. Nous serons notamment présents à la Fête du Perrier (Annemasse) le 3 juillet. Ici la page FB.

 

 
IN SITU ALMA TRES-CLOITRES

En 2019-2020, à la demande du CIMN (Centre International des Musiques Nomades). l'équipe In Situ a collecté dans le quartier Alma Très-Cloîtres, haut lieu de l'histoire de l'immigration au Centre Ville de Grenoble.

Le concert de restitution de l'aventure In Situ Alma Très-Cloîtres, filmé le 19 décembre au Théâtre Ste-Marie-d'en-Bas,  est visible ici.

 

 
STAGE D'ETE

On n'a rien de définitif encore à vous annoncer, mais on avance, on avance. Tout ce qu'on peut vous promettre, c'est qu'il y aura quelque chose aux dates prévues (semaine 33), soit tout présentiel, soit tout distanciel, soit une formule hybride. Des infos très bientôt sur la page FB de Mydriase

 
VIDEOS PEDA

Toutes nos vidéos pédagogiques (accordéon diatonique, chromatique, clarinette, harmonie) sont en vente ici. Chaque épisode de la saison 4 des vidéos diato (Stéphane Milleret) est disponible le 1er vendredi du mois jusqu'en juin.

La saison 2 de l'indispensable série collective Histoire de l'harmonie  (Mignotte / Milleret / Pignol / Reboud / Sacchettini / Sarzier) est enfin disponible.

 

 
EN REVENANT DES MONTAGNES SAISON 3

Le stage En revenant des montagnes (danses traditionnelles de Savoie) aura lieu les 12-13, 26-27 juin, et 3-4 juillet à Montmélian (73). Mené par Geneviève Chuzel, accompagnée de Patrick Mazellier et Frères de Sac duo, ce stage est une émanation de Savoie-Culture et du Musée Savoisien de Chambéry. Le 3e week-end verra une captation de 5 danses par nos amis Léo Dadin et Pascal Cacouault, à paraître sous forme de vidéos pédagogiques en accès libre d'ici la fin de l'année. 

 

 
DUO BROTTO-MILLERET

Si tout va bien, on les verra à Pamiers (09) le 29 mai (concert retransmis sur la chaîne YT de la ville), à Abriès-Ristolas (05) le 26 juin, à La Tour-du-Pin (38) le 3 juillet, et à Villandraut (33) le 9, dans le cadre du festival Nuits Atypiques en Sud-Gironde.

 

 
MUSIQUE, JEUX D'ECRITURE ET TECHNIQUES DU SON

C'est l'intitulé du stage que Léa Dessenne et Norbert Pignol vous proposent avec l'association La Paix Déménage du 18 au 25 juillet à Beaumont-en-Diois (26).
Encore quelques places  !

 

 
SORTIE CD

Après le livre, c'est bientôt la sortie du CD À la verticale, à l'horizontale de Marie Mazille et Adeline Guéret, suite de l'opération « Chants aux fenêtres » menée pendant le 1er confinement de 2020. Un tas de mustradémiens invités : Christophe Sacchettini, Fabrice Vigne, Patrick Reboud, Norbert Pignol et Frères de Sac 4tet. Concert de sortie à la Villeneuve le 25 juin.
Un amuse-gueule ici
Des infos sur la page FB de MusTraDem et sur celle d'Adeline.

 
FAICHBROUTE
  • Rendez-vous quasi quotidiens sur notre profil FB pour y suivre l'actualité des artistes du collectif : bals (euh non), concerts (bientôt), stages (ou pas), clips, éditos...et de quelques-uns de nos amis.
  • La page FB d'In Situ Babel qui vous donne des nouvelles de la résidence dans l'agglo d'Annemasse
  • La page Mydriase (stages)
 
FAMDT

Les rencontres nationales de la FAMDT auront lieu cette année à Marseille les 17 et 18 juin.

 

 
COPINAGE VILLENEUVE

La Chorale des enfants de la Villeneuve reprendra du service le 25 juin, toujours accompagnée par Marie Mazille, Patrick Reboud et Christophe Sacchettini.

Enfin, un petit coucou à notre Batuk préférée : la célèbre et remarquable BatukaVi (et son Super Grand Timonier Willy Lavastre) dont de jeunes membres ont réalisé ce clip.

 

 
SOUSCRIPTIONS

L'ensemble lyonnais La Note Brève consacre son 1er CD à Pierre Colin, « trésor oublié de la Renaissance »: redécouverte d'un grand compositeur français du XVIe s., jamais enregistré ! Accompagnez-les ici.

C'est ici la souscription pour le 1er CD du duo Kaz Kan Zie (Jérémie Bonamant-Teboul et Aymerick Tron-Alvarez), avant de les retrouver sur les parquets  !

 

 
BOUTIQUE

Les nouveautés de la boutique, arrivées toutes chaudes de l'AEPEM.

Los cinc jaus "Baissatz-vos montanhas"
Jean-Marc Delaunay "Violon / Le son de l'Artense"
Grégory Jolivet "Vielle à roue"
La Bricole "Jour de malheur"
Tres "Avanç'un pauc lo pas"
Duo Rivaud / Lacouchie "Zo !"

 
          
 
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