Mustradem - Musiques Traditionnelles de Demain
Newsletter #67 novembre décembre 2020
Édito Daniel

Quand j'ai poussé la porte de l'Adaep, à Grenoble, au milieu des années 80, mes flûtes en poche, je crois me souvenir que tu étais déjà là. Tu donnais des cours de violon, l'oeil déjà tendu d'ironie, fantôme perdu dans ce local branlant. Il n'y avait pas là grand-monde, mais tu ne cherchais pas la gloire. Tu menais ta barque, à ton rythme, entre plaine et Vercors, sur l'agglomération grenobloise - à l'époque un panier de chapelles musicales isolées les unes des autres. Tu avais un métro d'avance – et toujours un groupe en route : Calembredaines, Skibbereen, Inishowen...Un pied dans la musique irlandaise, un autre dans le folk. La rondeur fébrile de ton son de violon, les volutes de tes chorus, l'architecture admirable de certaines de tes compos, nous avaient précédés partout. Ton phrasé « à l'irlandaise », fruit de ton apprentissage tardif avec Kevin Burke, se métissait naturellement dans tes mélodies pour danses de bal folk français. Ta cordialité, avec les jeunes que nous étions, cachait un homme sensible, discret, parfois sombre, imprévisible, qui devint peu à peu un compagnon de routes, de bals, de concerts et de stages. Bientôt ce fut Ceòl, Eclys, enfin Djal. Sur ce coup-là, Stéphane Milleret, Jean Banwarth et moi-même, t'avions un peu forcé la main : nous étions tombés amoureux de tes mélodies qui s'envolaient déjà un peu partout, il n'y avait pas de raison qu'elles fussent réservées à d'autres. Résultat : à nous les jeunes, joli pied-de-nez, tu nous ramenas de plus jeunes que nous ! Ton fils Yann, et un certain Sylvain Barou...
À vrai dire, j'ai toujours été surpris, et assez fier, que tu aies tenu presque 13 ans dans Djal, où nous mélangions exigence musicale, excès divers et blagues débiles, à une cadence parfois frénétique. Tu nous suivais dans nos errances, auxquelles tu te rajeunissais parfois, et quand tu avais ton compte, tu disparaissais, sur des sentiers où nul n'aurait pu se rendre à ta place. L'ironie, chez toi, tendait une main au bon gros rire, une autre à l'inquiétude ravageuse. C'est que tu avais toi-même tes combats, et tes démons, qui aujourd'hui, t'ont rattrapé.

C'est aussi qu'il y avait plusieurs Daniel. Il y avait Daniel le violoniste, l'amoureux de la musique irlandaise («Dan Gordon from Autrans», t'appelait Christian au micro d'Inishowen). Daniel le créateur, le mélodiste, qui avait le chic pour vous coller par surprise un chromatisme vachard qui rendait le truc injouable au tin whistle. L'allumeuse et l'aveugle, maman ! Ton Bec de l'Orient, premier de la liste, et puis Le prince sans rire, A tune for Elsa (1), Arabesques, L'antre de Vénus ! une usine à tubes. Daniel dont le premier regard en ouvrant sa boîte de violon était pour les photos de ses fils. Puis le grand-père, intarissable sur ses petits-enfants. Il y avait Daniel le marcheur, attaché au Vercors puis à la Savoie, Daniel le cavalier, Daniel le retraité sans nostalgie aucune d'une carrière d'éduc-spé. Daniel le séducteur, Daniel l'écorché. Daniel l'asthmatique aussi, capable de tenir un dortoir entier en un éveil torve et haineux, qui répandait un ronflement ahurissant après s'être endormi en quatre secondes («les gars, je vous préviens, couchez-vous avant moi, je ronfle !»). Daniel le voyageur, en Irlande bien sûr, plus récemment en Crète où tu parlais de te retirer. Daniel le partageur, ses partitions à danser à disposition sur son site (2). Daniel le pédagogue, toujours au centre, malgré la retraite, d'un réseau d'initiatives, de partages, d'amitiés – d'amitiés que tu semblais parfois retirer ici pour les emporter là, car tu avais la bougeotte. Tu n'étais jamais plus à l'aise qu'au milieu d'un petit groupe d'amateurs, prêt à donner du temps, proposer une session, une nouvelle partition, dire une connerie, ou prendre la tête d'une bande en partance pour l'Irlande. Tout ce qu'ici, partout, tu avais semé, tout cela t'avait rendu indispensable – et irremplaçable. Tu ne l'aurais jamais admis, mais je crois que ça ne te déplaisait pas.

Il y avait aussi un Daniel, qui dressait entre ces divers personnages une fine barrière de papier à cigarette, dont il était seul à conserver la clé. Ce Daniel-là, au cœur incertain, qui détestait les adieux, les séparations, au point de quitter parfois le lieu du stage sans rien dire à personne, qui ne fumait ni ne buvait, c'est lui qui une fois encore s'est levé tôt, avant tout le monde ; il est parti le premier, sans bruit, emmenant avec lui tous les autres.

Nous ne réconcilierons pas ce qui ne peut l'être ici ; mais nous saluons l'artiste, l'ami, le compagnon, le grand-frère que tu fus pour nous tous. Une certaine sensibilité aux choses, une pilosité à géométrie variable, et notre fidélité, sur la route, aux vrais bouquins en papier, étaient sans doute, à toi et à moi, nos apparents points communs. «Ce qui ne peut être dit, il faut le taire». Cet aphorisme de Wittgenstein, bien pratique pour mettre un point final absurde à un livre tissé d'énigmes, était fait pour toi.

Daniel, c'est la deuxième fois que je t'écris. La première, il y a longtemps, c'était parce que tu m'avais énervé. Aujourd'hui, c'est parce que tu me fais de la peine.

Christophe Sacchettini
tofsac@mustradem.com

 

  1. Si tu croises Elsa, dis-lui que je pense à elle, et que j'écris son nom ici pour qu'elle revive un peu.
  2. https://fiddledanielgourdon.jimdofree.com

 

Daniel Gourdon 1951-2020

 

 
SPECTACLE MORT

Concerts, bals, stages... Comme vous vous en doutez, il n'y a plus rien de tout ça d'ici Noël et même après. Heureusement, il y a encore de vraies traditions dans ce pays  : pendant que les artistes (professionnels) se rongent les pouces ou se tournent les sangs, les chasseurs (amateurs) obtiennent des dérogations pour continuer à exercer leur mission civilisatrice.

Nous proposons donc le programme suivant  : organisons des concerts, puis flinguons le public. Trucidons-le à bout portant, explosons-lui la bidoche, traquons-le, puis achevons-le à coups de pelle dans les halls de théâtre. Ensuite saignons-le, dépiautons-le, cuisons-le, mangeons-le en famille au repas du dimanche, faisons des bonnets pour l'hiver avec son poil, et vendons-les sur les marchés.

Nous abonderons ainsi au commerce local, aux circuits courts, à la reconversion de l'artiste préconisée par le Royaume-Uni, à la protection des domaines publics, à la régulation de l'espèce, et une pluie de dérogations viendra baigner nos têtes réjouies.

 
VIDEOS PEDA

Toutes nos vidéos pédagogiques (accordéon diatonique, chromatique, clarinette, harmonie) sont en vente ici. Chaque épisode de la saison 4 des vidéos diato (Stéphane Milleret) sera disponible le 1er vendredi du mois jusqu'en juin.

L'indispensable série collective Histoire de l'harmonie  (Mignotte / Milleret / Pignol / Reboud / Sacchettini / Sarzier) est toujours disponible, en attendant la prochaine livraison de l'hiver.

 

 
STAGE D'IMPRO (ou pas)

Les inscriptions sont ouvertes en ligne pour notre stage d'hiver d'improvisation  : du 14 au 20 février 2021, vous viendrez improviser par tous les trous à Bourgoin-Jallieu (38) avec notre sémillante équipe  : Jérémie «  Papa pour la 2e fois  » Mignotte, Stéphane Milleret, Norbert Pignol, Patrick Reboud, Christophe Sacchettini et Jean-Pierre Sarzier.

 
BROTTO-MILLERET

D'après nos informations, le recueil de partitions du duo Brotto-Milleret est proche du bouclage  !

 
SORTIES CD POUR LES FETES

À la rigueur du temps, CD tant attendu de Rosa Combo  (Catherine Faure, Jean-Pierre Sarzier, Jacques Tribuiani) ! Dès maintenant à la boutique.

L'ombre du peintre, premier album de notre ami Jean-Marc Rohart (accordéoniste, compositeur, prof de diato, peintre, cinéaste d'animation, bricoleur de mots et j'en passe), enregistré cet été par Stéphane Milleret à St-André-le-Gaz (38). Il y est entouré de Maxime Rohart, Stéphane Milleret, Cyrille Brotto, Magali Girard, Christophe Sacchettini, Jean-Pierre Sarzier, Patrick Reboud, et même Catherine Faure et Anne-Lise Foy qui viennent faire coucou.

Enfin, procurez-vous avec ça le dernier album numérique de Jean Banwarth, Just sounds : de l'irlandais à l'état pur et quelques compos, de la guitare, rien que de la guitare !

Rappel  : le très beau CD Noé Novel, florilège de chants de Noël de Bessans (73) arrangés et dirigés par Vincent Boniface pour choeur et orchestre amateur de Savoie, avec la complicité des Trouveur Valdotèn.

 
ULULEZ, ULULEZ

Oxymel, double album de Stéphane Mauchand pour cornemuse et guitare électrique

Vélyeûza, CD et clip du quartet vocal rhônalpin La Miye aux Tiroirs

 

 
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