Mustradem - Musiques Traditionnelles de Demain
Newsletter #66 septembre octobre 2020
Édito La roue de la vie

27 décembre 2019, St-Nicolas-la-Chapelle. Je prépare mon stand de CD pendant la répétition du concert des Noëls de Bessans. Un monsieur, plutôt sec et bien conservé sous un gros bonnet fourré, entre avec un rayon de soleil dans la petite église savoyarde. Il fait le tour, regarde, écoute, hume l'ambiance, enfin plante une caméra dans la nef, et la laisse tourner quelques instants. Après son départ, c'est l'ami Guillaume Veillet qui vient me donner un coup de coude : « Dis, tu l'as reconnu ? Claude Lelouch ! »
M'est revenue en mémoire une des quelques séquences géniales d'une œuvre souvent fatigante. C'est dans Il y a des jours...et des lunes (1990). De mémoire, ça se passe dans une station service, il y a Gérard Lanvin en pleine errance, livide, accroché à un téléphone. Et voilà qu'une troupe de comédiens, conduite par un Pierre Barouh complètement dingue, en roue libre et en bonnet d'aviateur, fond sur lui comme un vol de rapaces : « Vous voyez ce type ? Il ne nous connaît pas, on ne le connaît pas, mais là on le regarde tous, et il fait partie de notre histoire, et maintenant nous on fait aussi partie de son histoire ! » Et ils disparaissent. La gueule de Lanvin.

La connexion perpétuelle n'est qu'une lamentable illusion, un caprice de gosse accro à une appli. On réalise, en faisant retour sur une partie de vie en mouvement, que le vrai sens du mot réseau commence ici : croiser des gens, une seconde, d'un œil savoir les connaître, les reconnaître, et vite, s'envoler ailleurs. Et puis, un jour, apprendre que ces gens se sont évanouis dans l'éternel brouillard.
Il en est beaucoup, ces derniers temps, qui désormais vivront sous forme d'image, d'icônes – ce qui reste en mémoire, en imagination. Ceux-là font partie de notre histoire – parfois le temps d'un battement d'oeil.

C'est d'abord Lionel Rocheman, qui est de notre histoire à tous puisqu'il organisa, en 1964, les fameux hootenannies au Centre Américain du boulevard Raspail à Paris, matrice de tout le mouvement folk français. David Jisse, disparu fin juillet, aurait pu aussi, sans le savoir, nous être apparenté, pour une raison que je ne dirai pas ici.

Bernard Meulien, parti la même semaine, n'était pas, lui, qu'un ami virtuel. Compagnon de route de Gérard Pierron depuis le début, ils redécouvrirent ensemble Gaston Couté, dont ils firent la matière de leurs premiers albums, sur lesquels Gérard chantait – et Bernard disait. Comédien, séduisant, séducteur, l'oeil pétillant, beau comme un bois gravé, il bondissait sur scène, à 70 ans passés, en déclamant par cœur, pieds nus, L'Américaine de Tristan Corbière – son morceau de bravoure. L'écho de sa voix est aujourd'hui gravé dans les murs de mon salon ; un sismologue du futur saura peut-être un jour l'en faire sortir – mais dans quel but ?

Mais c'est René Zosso dont la disparition cet été tourne une page du livre mustradémien. Qui l'aurait cru ? Quand on nous a, voici deux ans, décerné un Coup de Coeur Charles Cros, pour avoir réalisé avec René le DVD Penser modal – Approche théorico-pratique de la modalité occidentale, personne n'a vraiment goûté le sel de la situation. Pour ma part, j'ai rencontré René « en vrai » voici à peine plus de 10 ans, quand nous lui avions demandé une journée de formation à notre intention pour les Assises du CPMDT (1) à Monterfil, en janvier 2009. J'ai découvert tout en même temps l'homme et le pédagogue. Sa conception simple et éclairante de la modalité, sa méthode d'enseignement avec les doigts, et surtout sa façon de la relier aux pratiques médiévales. René avait ainsi un pied dans un Moyen Âge auquel il ne cessait, publiquement, de rendre ses couleurs et ses timbres, et l'autre dans le mouvement folk dont il fut l'un des principaux artisans. Les bourdons de sa vielle lui servaient de passerelle. Quand il n'était pas en stage à Genève ou ailleurs, auprès d'apprentis vielleux, il était sur scène ou en studio avec René Clemencic ou Jordi Savall, ou en duo avec sa belle compagne Anne Osnowycz.

J'ai compris, après deux heures avec lui, à quel point l'accès à la modalité, selon René, était à la fois enfantin et nécessaire ; et à quel point cette histoire manquait aux écoles, où les enfants et les esthétiques sont mis en bocal. Mais cette histoire était la sienne. Il y en avait d'autres. Le sachant, d'un œil goguenard et diabolique, il nous rendait ainsi à notre responsabilité – celle de construire, et dire, notre propre histoire.

Reste qu'au terme de cette journée, nous étions stupéfaits : René avait presque 75 ans, et au fil d'une abondante discographie, on ne trouvait nulle part le maillon de transmission de cette démarche. Stupéfaits, puis unanimes : cet objet, il nous fallait le réaliser, nous. Quelques années de gestation, les forces et la pugnacité d'Evelyne Girardon, l'enthousiasme de nombreux coproducteurs, et voilà un travail d'équipe comme nous les aimons. L'équipe Charles Cros ne s'y est pas trompée, qui récompensa pour un objet de transmission, un artiste (René) et un producteur exécutif (MusTraDem) aux voies opposées, mais ignorés des médias officiels pour leur démarche artistique.

« L'homme a un bourdon en lui : c'est l'espace dans lequel il va vivre sa musique. Qu'on le veuille ou non, chez soi on a un plafond, un plancher et des murs, et après on se débrouille pour vivre là-dedans ». (2)

René était aussi affable dans la vie, que son chant n'arrondissait pas les angles. Sa vielle pouvait grincer comme la charrette de l'Ankou ; quant à sa voix, elle semblait d'un autre âge. Il faut avoir entendu René porter, seul à sa table pendant 2h, le texte d'Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société. Sans effets de cordes usés, sans ce néo-romantisme si français, juste avec sa voix timbrée, son œil de faucon, et cet inimitable port de bras presque décharné – cette voix de théâtre, qu'il posait sur les voyelles, portant toujours plus loin le froid ruban de lave des mots d'Artaud, dépliant lentement diérèses et muets, comme en stage il faisait durer la corde de récitation, tirant sur sa phrase et son chant de façon insensée pour le fumeur de Beedies qu'il était, charriant de sa roue les alluvions du langage, toutes les rocailles de ses consonnes, jusqu'au bout, jusqu'à l'extrémité du bourdon. Nous n'en avons pas fini avec lui.

« À la fin, la seule chose qui restera ce sont les bourdons, hein ? » (3).

Des carrefours, des flashes, des bourdons et des histoires.

 

Christophe Sacchettini
tofsac@mustradem.com 

  1. Collectif des Professionnels des Danses et Musiques Traditionnelles, maison active depuis 2003, suivez, quoi.

  2. Teaser 1 du dvd
    https://www.youtube.com/watch?v=niWaOO4JE8M

  3. Evelyne Girardon, teaser 3 du dvd
    https://www.youtube.com/watch?v=7bvUJzEY_20

     

PS : au terme de cet édito consacré à des porteurs de voix et de chanson, j'ai ici une pensée pour Jo Tores, qui m'offrit un jour sa collection d'Escargot Folk.

PS2 : mon titre est bien entendu emprunté à un autre vielliste aux antipodes de René – Valentin Clastrier.

 
IN SITU BABEL

L'équipe d'In Situ Babel (Marie Mazille, Norbert Pignol, Patrick Reboud, Christophe Sacchettini et Fabrice Vigne) sera de retour sur l'agglo d'Annemasse du 29 septembre au 1er octobre, puis du 12 au 15 octobre. Prochaine scène ouverte : 29 septembre à Ambilly (74).
D'ici là, rendez-vous sur la page FB pour visionner de nouveaux teasers.

 
VIDEOS PEDA

Toutes nos vidéos pédagogiques (accordéon diatonique, chromatique, clarinette, harmonie) sont en vente ici. La saison 4 des vidéos diato (Stéphane Milleret) sera disponible le 11 septembre, puis le 1er vendredi du mois jusqu'en juin. Le teaser est ici.

L'indispensable série collective Histoire de l'harmonie (Mignotte / Milleret / Pignol / Reboud / Sacchettini / Sarzier) est toujours disponible, en attendant la prochaine livraison de l'hiver.

 
BROTTO-MILLERET

La sortie de l'année c'est La part des anges du duo Brotto-Milleret, et les clips qui vont avec. CD agréable au toucher, simple, de bon goût, efficace et direct dans ta face, les deux diatos qu'il vous faut !

D'après nos informations, le recueil de partitions du duo est proche du bouclage !

Le duo sera à Chalap (30) du 5 au 9 octobre pour deux stages personnalisés. Inscriptions ici.
On les verra ensuite le 23 octobre à Zurich (CH), puis le 31 à Pavie (32), cette fois en formule trio (ciné-concert) avec Léo Dadin à la projection.

 

 
FASTBROUQUE

Rendez-vous réguliers sur

 
COVID MEGAMIX VOL.19

On peut toujours se procurer la désormais célèbre compil dématérialisée Covid Megamix vol.19, projet fou de notre webmaster préféré Romain Marchand : 79 morceaux « confinés » du milieu trad français (avec plusieurs participations mustradémiennes), dont le bénéfice a été reversé à la fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France.

Les vidéos sont visibles sur la page FB du projet, et l'album numérique est ici.

 
CINE-CONCERT LA CONFINE

Une représentation exceptionnelle du ciné-concert Au premier jour de la Confine (Marie Mazille, Fabrice Vigne, Franck Argentier, Christophe Sacchettini, dessins Capucine Mazille) aura lieu samedi 12 septembre à l'occasion de la Fête du Quartier de la Villeneuve (Grenoble) et de l'ouverture de saison de l'Espace 600.

 
ALBERT ET ZEPHYR

On entendra le tour de chant Albert et Zéphyr de Marie Mazille trio (Mazille / Reboud / Sacchettini), le 25 septembre chez Paule-Catherine Arnaud-Dreyfus (Corenc-38) et le 26 chez Christine Ebel (Grenoble).

 
CHANTS AUX FENÊTRES

Pendant le confinement ont eu lieu 47 "concerts aux fenêtres" de la Villeneuve de Grenoble sous la houlette d'Adeline Guéret et Marie Mazille. Un 48e aura lieu le 2 octobre. Il commencera aux fenêtres du 170 galerie de l'Arlequin, comme au bon vieux temps, et nous emmènera ensuite jusqu'à l'Espace 600Christophe Sacchettini soutiendra l'orchestre.

 
STAGE DE DANSES DES BALKANS

Geneviève Chuzel vous attend le 11 octobre à l'Isle d'Abeau (38) pour un stage Balkans Itinéraire nomade, organisé, comme chaque année, par nos amis de Trad O Pieds. Elle y sera accompagnée, pour l'occasion, par Norbert Pignol et Christophe Sacchettini.

 
FRERES DE SAC 4TET

Si tout va bien, le combo familial se produira en bal le 31 octobre à la Grange au Percy (38), dans le Trièves. Nous danserons et nous y tiendrons chaud à la mémoire de Vincent Leras. En attendant, revoyez ici les derniers clips du quartet.

 
GROENLAND MANHATTAN

Le bédé-concert adaptée de la bédé de Chloé Cruchaudet et réalisé et joué en scène par Stéphane Milleret et Sébastien Tron, sera le 15 octobre à Toulouse (31).

 
SORTIES CD

Oyez, voici le CD tant attendu de Rosa Combo (Catherine Faure, Jean-Pierre Sarzier, Jacques Tribuiani) ! En attendant de trouver A la rigueur du temps à la boutique, on peut se procurer ce magnifique album ici.
On les retrouvera en concert les 11 et 12 septembre à Beaurepaire et Francin (complet), et le 13 à Ecole-en-Bauges (73) - résa 07 61 38 56 97.

C'est le 25 septembre la sortie du nouvel album de Gérard Pierron Good bye Gagarine ! Un album "nomade" enregistré l'hiver dernier entre Rouen, Bénesville (76) et Brié-et-Angonnes (38). Gérard est entouré pour l'occasion de Nathalie Fortin, Marie Mazille, Patrick Reboud, Patrick Fournier, Jean-Baptiste Laya et Christophe Sacchettini qui passait par là.

Voici venir enfin L'ombre du peintre, premier album de notre ami Jean-Marc Rohart (accordéoniste, prof de diato, compositeur, peintre, cinéaste d'animation, bricoleur de mots et j'en passe), consacré à ses compos. Sur ce CD enregistré cet été par Stéphane Milleret à St-André-le-Gaz (38), au milieu des poules, et qui sortira d'ici la fin de l'année, Jean-Marc est entouré de Maxime Rohart, Stéphane Milleret, Cyrille Brotto, Magali Girard, Christophe Sacchettini, Jean-Pierre Sarzier, Patrick Reboud, et même Catherine Faure et Anne-Lise Foy qui viennent faire coucou.

 
COPINAGE

En v'là, tiens, des chanteurs bien vivants. Seulement, ils s'arrêtent, les lâcheurs, au bout de 24 ans de bons et loyaux services, comme si c'était une raison. Ne ratez pas la dernière tournée d'Entre deux caissesOn a voulu vous dire au revoir. Jusqu'en janvier, et après, rideau. Snif.

Un autre chanteur en pleine forme, c'est Gabriel Yacoub. Il a sorti l'an dernier non pas un album, mais un livre, Je resterai ici. On peut se le procurer, justement, ici.

 
BOUTIQUE

Et enfin, vous qui ne jurez plus depuis 6 mois que par le commerce raisonné, bio, local et indispensable, notre boutique est faite pour vous.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
          
 
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