Mustradem - Musiques Traditionnelles de Demain
Newsletter #61 novembre décembre 2019
Édito MusTraDem : une arrière-boutique

« Et lorsque mon âme ne demande d'autre nourriture et stimulant que la musique, je sais qu'il faut la chercher dans les cimetières : les musiciens se dissimulent dans les tombes ; d'une fosse à l'autre se répondent trilles de flûte et accords de harpe. »
                                 Italo Calvino, Les villes invisibles

Vous tous qui me lisez depuis tantôt 10 ans, n'avez pas été sans noter mon léger penchant pour le macabre, le sanglant, le bizarre ; penchant partagé du reste par 90% de la population active (plus d'hommes que de femmes) et 99% de la population inactive (99% d'enfants et 1% de retraités).
C'est dans les replis du cerveau, dans les couches profondes de l'Histoire et plus généralement dans le mucus de nos sociétés que se cachent les raisons de nos états. Que sédimentent les processus du déroulement du monde. Or tout récit, toute histoire marque le triomphe du « faire » sur les ruines du non-dit. Nos musiques, entre autres, sont de l'histoire « non officielle ». Nous avançons en secouant des fantômes, en marchant sur des cadavres. Les ramener pour un temps à la surface, c'est réparer des mémoires blessées, réconcilier ce qui ne l'est pas ; laver le palimpseste afin d'y noter d'autres fictions et récits momentanément réparateurs (1). Faire du neuf avec du vieux, changer le pansement, c'est la même chose en matière artistique que sociale ou historique : pour comprendre, déterrer quelques squelettes, et passer votre histoire à la machine ; presque un boulot de garagiste. C'est clair, docteur ?

Or, s'il ne nous est pas donné de nous promener à cet effet, comme nous le voudrions, dans toutes les dimensions du temps, de l'espace et de l'esprit, nous avons néanmoins les rêves, qui chaque nuit remettent à l'heure nos pendules intimes (2).
Quant à moi j'ai fini, comme tout un chacun, par apprivoiser mes cauchemars d'enfant, qui me laissaient hébété dans le pot-au-noir de mon lit, englué entre soir et matin. Je n'en fais plus que rarement, un par an, je le cueille avant l'aube comme une vieille araignée moisie qui ne fait plus peur, je m'y promène comme à la foire, bien en peine de dire ce qui l'a déclenché, sauf ingestion massive de cancoillotte fondue comme samedi dernier avant un bal dans le Jura au sortir d'une cure de raisin.
Alors d'abord, cauchemar sans d, siouplé. Même si on dit cauchemarder. Ensuite, on note que cauchemar remplace incube dans la terminologie scientifique en 1815. Et 1815, c'est Waterloo, bien sûr, mais  c'est aussi 14 ans avant l'invention de l'accordéon diatonique. Coïncidence ? Je ne crois pas. L'invention moderne du cauchemar va donc de pair avec l'invention des musiques traditionnelles. Avant le cauchemar, c'était l'incube qui tenait le pompon. Or les deux termes ont la même étymologie : couché sur, qui étouffe, oppresse, bloque la poitrine (un peu comme l'accordéon, quoi).
Comme chaque matin, chaque époque nous fournit une nouvelle clé d'entrée dans le cauchemar, qui jamais n'épuise la suivante : divination, présage, libido, refoulement, hystérie, castration, poubelle de l'inconscient...En fait, il est à craindre que le bazar ne s'illumine, que l'arrière-boutique ne s'anime, que le carrousel ne se mette en branle que sous l'influence première, n'en déplaise aux savants, du régime vespéral, bref, de la bouffe.
Ainsi, moi qui aime les choses de la vie, je peux dire qu'aujourd'hui, docteur, j'aime mes cauchemars.
Mais alors, si c'est bien vrai que nous ne sommes que des bêtes, une question nous brûle : nos cauchemars disent-ils quelque chose de nos métiers, à nous musiciens ? De nos spécificités? Avons-nous un tampon, des rêves bien à nous ? Une carte d'identité onirique ?
Aussi, pour célébrer comme il se doit les 10 ans de cette newsletter et de ses élucubrations éditoriales, rien que pour vous qui nous êtes fidèles et nous le dites parfois, j'ai décidé, à l'approche d'Halloween, de lancer un sondage sur les cauchemars des musiciens qui m'entourent, en rapport avec nos métiers. J'en livre ici à l'intérêt du public, en exclusivité, les premiers résultats. Anonymes, comme il se doit.

« Je dois rentrer sur scène dans cinq minutes pour jouer des morceaux dont j'ignore tout et/ou en jouant d'un instrument que je n'ai jamais eu entre les mains de ma vie (la dernière fois c'était un violoncelle).» « La dernière fois, c'était au violon, sur lequel je n'avais jamais posé les doigts. Il m'est arrivé de devoir jouer un concerto, sur le devant de la scène, avec le chef qui lève la baguette pour attaquer le concert. » « Je suis programmée sur la grande scène de la Maison de la Culture de Grenoble pour un concert de piano solo. J'ai beau expliquer que j'y connais rien, on me pousse sur scène. » « Au moment de commencer, le col de ma clarinette basse tombe en poussière, et tous les profs entreprennent de fouiller dans les placards à la recherche d'un col fonctionnel. Marie me foudroie du regard. » « Au moment de démarrer le concert, Norbert se met à distribuer au public des flyers avec les prochaines dates. Il descend dans la salle et donne à chaque personne un flyer pendant que nous attendons sur la scène pour commencer à jouer. Le public s'impatiente, siffle, hue, s'en va.... » « Nous créons un spectacle devant une salle de 1000 places à peine occupée d'une dizaine de spectateurs. On démarre et le metteur en scène passe son temps à arrêter la représentation et à reprendre les acteurs sur leur jeu. » « Pour rejoindre mes camarades, il faut prendre une échelle qui débouche directement sur la scène. J'entreprends de grimper avec des flûtes qui pendent de partout, se cassent la gueule...Il faut alors redescendre au fond d'une cave bien noire, tout ramasser et recommencer. Quand j'arrive enfin là-haut, la scène est vide, mes camarades sont partis. Le public est clairsemé, c'est l'entr'acte. » « Je dois passer une épreuve au psaltérion. Je réalise que je n'ai rien foutu. Les morceaux sont écrits vraiment tout petit, même avec mes lunettes ça va être l'enfer pour déchiffrer. Il se peut même que la salle soit éclairée à la bougie, pour faire ambiance d'époque. En plus les notes sur la portée sont à moitié effacées. Tant pis, je leur ferai une impro à la place. » « J'arrive en stage mais j'ai oublié mes recueils / mes notes / mes chaussures. » « Je n'ai pas répondu, mais c'est parce que je fais les mêmes rêves que vous... »

Oui, bon. Les artistes ont peur d'arriver à poil sur scène et de ne pas être à la hauteur. Comme premier degré, on ne fait pas mieux. Quant à l'administrateur, trop occupé, il n'a pas répondu.
Evidemment la place et les moyens scientifiques manquent pour une étude comparée : quid des dentistes, des philosophes, des hommes d'église, des tortionnaires, des hommes politiques ? Les bourreaux tremblent-ils eux aussi devant la tâche ? Mais d'autres, mieux armés que moi, reprendront le flambeau de cette archéologie balbutiante. Faut dire que l'époque n'est pas à la science expérimentale. On voit toutefois d'intéressants phénomènes. Par exemple, les shreds – vous savez, ces clips désopilants dont on a remplacé le son d'origine par des bruitages tout pourris – ne sont rien d'autre que des cauchemars de musiciens qui ont pris forme : on joue d'un instrument normalement, et en sort un son grotesque. L'horreur à l'état pur.

Reste qu'aujourd'hui, le rêve n'a pas bonne presse. Depuis le temps qu'on nous serine qu'on a trop rêvé, que ça suffit, il est temps de redescendre sur terre bouffer sa potion à l'arsenic, de reboucler nos chaînes et d'en avaler la clé.
Ce qui laisse un avenir rutilant à la catégorie des cauchemars éveillés : bonjour, je m'appelle Edouard Philippe. L'année prochaine, la réforme de l'Unedic 2019 (3) s'appliquera aux intermittents. A terme, en France ils ne seront plus que 10, mais ce seront les meilleurs. Vous n'avez pas le choix. Ayez confiance, tout va bien se passer. Ou : bonjour, je m'appelle Edouard Philippe, dorénavant nous distribuerons des armes aux chômeurs, à charge de faire baisser eux-mêmes les statistiques du chômage. Les dividendes seront distribuées aux survivants. Signez ici. Vous n'avez pas le choix.
Oui, plus j'avance en âge, plus j'aime mes cauchemars. Les vrais. Ceux dont on se réveille.

Christophe Sacchettini
tofsac@mustradem.com 

PS : on me susurre dans mon oreillette que j'oublie la dystonie de fonction, hantise authentique du vrai musicien : nous parlons ici de choses sérieuses. Pour l'éviter, il suffit de ne pas travailler son instrument, et voilà tout.

 

  1. Précisons, à l'attention des petits malins, qu'on ne saurait mélanger ici réinterprétation et révisionnisme...

  2. Notre Président bien-aimé, Fabrice Vigne, leur a même consacré un opus entier : L'Echoppe enténébrée, récits incontestables (Le Fond du Tiroir 2008). En cherchant bien, on croise même des mustradémiens dans ce bac à sable onirique. 

  3. une réforme « pour la précarité », nous dit même not' ministre du travail en un de ces lapsus qui devaient redonner à Freud, aux heures noires, confiance en son métier.

 
NEO CLIPS

Du nouveau sur la chaîne Youtube !

  • Le clip Vos gueules, une œuvre collective : Leïla Badri (chant), Fabrice Vigne (paroles), Norbert Pignol (musique), Nicolas Coulon (réal.)...un coup de gueule bien senti contre l'incurie politique face au dérèglement climatique.

  • Une série de morceaux joués en public en août dernier par Frères de Sac 4tet à Salmaise (21) et joliment filmés par l'ami Didier Serciat : nous les diffuserons un par un tous les vendredis jusqu'à Noël.

Sans oublier Lisières (Frères de Sac 4tet), Sur les quais et Ça mousse / route 87 (duo Brotto-Milleret). Partagez, partagez !

 

 
STAGE D'HIVER

Elles sont ouvertes le 12 novembre, les inscriptions pour le stage d'impro ! Du 23 au 29 février, vous viendrez vous décoincer les doigts et le cerveau à Bourgoin-Jallieu (38) avec Jérémie Mignotte, Stéphane Milleret, Norbert Pignol, Patrick Reboud, Christophe Sacchettini et Jean-Pierre Sarzier.

 

 
STAGE DE PRINTEMPS

Et voici venir la première édition de notre tout nouveau stage de printemps « 3 en 1 », à Bourgoin également, du 19 au 25 avril !

  • Musique d'ensemble avec Simone et Nicolò Bottasso

  • Création de chansons avec Marie Mazille et Fabrice Vigne

  • Accompagnement avec Sylvain Quéré, Patrick Reboud et Stéphane Milleret

 

 
VIDÉOS PEDAGOGIQUES

Elles sont désormais en boîte, nos conférences filmées sur l'harmonie. Elles seront disponibles dès décembre sous forme de vidéos pédagogiques (20 épisodes). Pour Noël, abonnez vos amis !

 

 
CHEZ L'HABITANT

Frères de Sac 4tet, ses nouvelles vidéos sous le bras, se produira en concert à Grenoble chez Annik Magnin (cabaret du Bélier Tapageur) le 10 novembre.

On entendra le nouveau répertoire chanté de Marie Mazille, accompagnée par Albert et Zéphyr (alias Patrick Reboud et Christophe Sacchettini) le 15 novembre à Grenoble (c/o Brigitte Daïan), le 10 décembre au 170 galerie de l'Arlequin (Grenoble).

Infos sur l'agenda

 

 
EN REVENANT DES MONTAGNES

Le Conseil Général de Savoie et le Musée Savoisien de Chambéry vous proposent cette année un approfondissement du travail commencé l'an dernier autour des danses traditionnelles de Savoie, avec ce stage encadré par Geneviève Chuzel, accompagnée par Frères de Sac duo et Patrick Mazellier. 1er de ces 3 samedis En revenant des Montagnes : 23 novembre. Ensuite : 25 janvier et 4 avril.
Infos / inscriptions ici.

 

 
PENDANT CE TEMPS-LA, CHEZ LES BELGES...

Le duo Brotto-Milleret et le trio TocTocToc iront mettre de l'ambiance au Bal XL Frisse Folk à Etterbeek (Belgique), le 23 novembre.

 

 
IN SITU BABEL

La résidence participative de l'équipe In Situ Babel (Marie Mazille, Norbert Pignol, Patrick Reboud, Christophe Sacchettini, Fabrice Vigne) continue dans 4 communes de l'agglomération d'Annemasse (74) : Ambilly, Annemasse, Gaillard et Ville-la-Grand. Détails sur l'agenda.

 
IN SITU ALMA-TRES-CLOITRES

Une aventure In Situ démarre également cette année dans le quartier historique d'Alma-Très-Cloîtres au Centre Ville de Grenoble, à l'invitation du CIMN (Centre International des Musiques Nomades). Des scènes ouvertes sont au programme (détails sur l'agenda), ainsi qu'une restitution aux prochains Détours de Babel (29 mars 2020).

 
GROENLAND MANHATTAN

Pendant tous ces événements, le bédéconcert Groenland Manhattan (Stéphane Milleret, Sébastien Tron) continue sa tournée, le 15 novembre à Pont-en-Royans (38).

 

 
ROSA COMBO

L'adorable trio Rosa Combo (Catherine Faure, Jean-Pierre Sarzier, Jacques Tribuiani) se prépare à l'enregistrement de son nouvel album (janvier 2020), et vous propose une tournée iséroise de concerts en décembre : Villefontaine (le 12), Grenoble (13 et 14), Saint-Pierre-de-Mésage (le 15).

Détails sur l'agenda.

 
NOE NOVEL

Avec l'hiver, c'est le retour des Noëls de Bessans, ce beau programme de Noëls traditionnels arrangés par Vincent Boniface avec le concours d'un orchestre de 60 chanteurs et musiciens, enregistré sur le magnifique CD Noé Novel (production MusTraDem 2018).
Le 27-12 à St-Nicolas la Chapelle (73), le 28 à Albertville (73), le 29 à Suse (Italie).

 
COPINAGE

Le duo Liard / Madec vous propose sa prochaine création An Nor, en trio avec Michel Godard, et cherche à cet effet des dates entre janvier et août 2020.

A lire ici, Le grand déballage, un très pertinent texte de Jean-François Vrod sur le rapport musique-danse

Les conférences et événements du Conservatoire Hector Berlioz de Bourgoin-Jallieu (38) consacrés aux musiques traditionnelles, se poursuivent cette année avec encore une fois un alléchant programme. A venir : stage avec le trio Euphrasie (29-30 mars), conférences avec Françoise Etay ou Frédéric Paris...

Le camarade Sylvain Guehl nous présente son nouveau site Trad en Poche, consacré aux musiques traditionnelles à l'harmonica.
Ce qui énerve, c'est que ça prend encore moins de place dans la poche qu'une flûte à bec...

 

 
LA BOUTIQUE

La nouveauté de l'année 

Trouveur Valdotèn / Noé Novel - CD

Les galettes de l'AEPEM

Barbillat & Touraine / Ronds et rondes traditionnels chantés du Bas-Berry, vol.1 - 3 CD
Planchée / Musique à danser de Haute-Bretagne - CD
Michel Esbelin - Tiennet Simonnin / Le lilas blanc / Mélodies des bals musette de la Belle Epoque - 2 CD
Dirty Cap's / Musique traditionnelle du Quercy et de Gascogne - CD
Ivan Karvaix / Musette Béchonnet / Musique traditionnelle des Combrailles - CD
Basile Brémaud / Violon / Musique traditionnelle d'Auvergne et du Limousin - CD
Hervé Dréan / Chansons traditionnelles de Haute-Bretagne - CD

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