Mustradem - Musiques Traditionnelles de Demain
Newsletter #53 juillet août 2018
Édito Un zombie, ça va

Le squelette, c’est ce qu’il y a de plus vivant en nous.  José Bergamin

Le seul mythe moderne, c’est celui des zombis - schizos mortifiés, bons pour le travail, ramenés à la raison.                                               G. Deleuze et F. Guattari, Capitalisme et schizophrénie, 1972

…C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes.  Brice Hortefeux, comptable de comptoir

 

Si l’on cherche un marqueur littéraire pour évoquer nos musiques, la figure du vampire vient tout de suite à l’idée. Nos musiques sont nocturnes, elles sont des survivances d’un passé qui n’est ni tout à fait mort, ni tout à fait vivant. Elles se pratiquent au sein d’un cercle d’initiés, s’évanouissent avec l’aube, et on en a peur. On (le grand public) pressent leur existence, mais elles ne figurent pas dans les manuels scolaires ni les cursus d’éducation musicale. On n’en parle pas, sauf à mi-voix, et avec une grande méconnaissance, comme d’un domaine dont on craint d’en trop dire sans en savoir assez. 
Enfin, elles font grincer tout un attirail sonore diabolique (bourdons, tempérament inégal, modes de jeu…) propre à saisir, puis à sidérer, avant l’étape suivante : la transe, enfin l’évanescence au petit jour, pour un retour vers un monde mieux organisé, mieux tempéré. 
Remarque liminaire : les grandes incarnations du fantastique sont d’autant plus efficientes et ancrées dans leur temps qu’elles en reprennent, grossissent et critiquent les travers plus ou moins graves, les catastrophes sociétales ou écologiques. En outre, elles peuvent resservir si besoin. Ce sont ainsi régulièrement le Vampire, le Fantôme ou le monstre de Frankenstein (traces macabres issues sur le tard de l’imaginaire européen), qui reviennent nous parler de nous et du monde qui nous entoure si mal. 
Le secret de leur succès ? Nous montrer tous les états de l’altérité, autant spatiale que temporelle. Or, qu’est-ce qui nous met face à une altérité plus radicale que la figure du zombie ? 
L’espace : le zombie envahit littéralement l’espace qui le sépare de vous, à vitesse plus ou moins dilatée, il vous attrape, vous dévore, vous annihile. Le temps : le zombie se réveille du passé et avale le présent avec un appétit aveugle et insatiable. Aucune noblesse dans sa tenue, aucun tragique, aucun recours possible à ce texte qui a phagocyté la culture occidentale. Un zombie, ça ne parle pas, ça pourrit de l’extérieur et ça bouffe tout pour sa survie. Oui, il y a des exceptions. Non, je ne vous les dirai pas, sinon vous ne lirez encore pas ce papier jusqu’au bout. Bref, bien plus que le fantôme ou que le vampire, qui sont encore un peu de ce qu’il furent, le zombie ne nous montre plus, de ce visage nécessaire au philosophe Emmanuel Lévinas (1) pour (re)connaître l’Homme, qu’une coque sèche et même pas ricanante. Il est passé de l’autre côté, et à ce titre, la possibilité ontologique de l’existence d’un zombie apparaît d’abord et avant tout comme une leçon de vie, de survie dans l’urgence, dont nous profitons, nous spectateurs, en la faisant exister à nos yeux pour mieux nous en nourrir. Vous êtes déprimé, allez voir un film de zombies. Tout va mal ? Ça peut être encore pire. Quand les zombies arrivent en bande, l’humanité n’en a plus pour longtemps.

En France, nous n’avons pas ça. Il nous manque une usine à rêves comme Hollywood et son envers, une avant-garde à cauchemars, pour régurgiter sous forme métaphorique un grand traumatisme comme le fut aux Etats-Unis la guerre du Vietnam, ou plus tard celle d’Irak (2). Quoiqu’avec ce que qu’on appelle aujourd’hui bien pudiquement la crise des migrants, un George A. Romero ou même un Jean Rollin feraient des miracles. L’Europe fabriquant son identité, comme naguère les Etats-Unis, dans l’exclusion de l’Autre radical, nourrit ainsi ses dictateurs et ses poètes. Sauf que les Etats-Unis, eux, ont intégré le blues et le jazz. 
Quant à moi, il m’a toujours semblé que nos musiques (je veux dire absolument tout ce qui se fabrique autour de formes plus ou moins patrimoniales et pas encore assez figées pour rentrer dans l’institution) représentaient un parfait exemple de retour de refoulé d’un passé flanqué sous un tapis républicain qui a bricolé du vivre-ensemble à coup de guerres mondiales, d’immigration voulue puis stoppée au gré des besoins de l’industrie, et autres joyeusetés. 
L’histoire du folk européen est ainsi faite de tentatives pour redonner place à de l’inouï - mais au sens où Freud comprend l’inquiétante étrangeté (das unheimlich) : quelque chose de déjà entendu, mais autrement, autrefois, oublié par l’espèce, et transformé pour les besoins du temps. Tant il est urgent de rappeler que nous avons tous été migrants, zombies, hors-sol ; et qu’on est toujours le migrant de quelqu’un quelque part. Nous payons des traites, nous votons et prenons l’apéro sur nos terrasses ou dans nos jardins. Nos musiques, elles, malgré nous et nos efforts pour les policer, pour les rendre présentables, grincent sans succès à la porte de l’espace public. 

Une partie de nous-mêmes est ainsi rejetée sur le bord des routes. Vous qui partez à Comboros cet été, méfiez-vous des sous-bois. Le zombie-éclaireur s’appelle Jeuselou. Et il joue de la vielle à roue. L’oreille néophyte, non éduquée, n’a là-devant que deux réactions possibles : le rire jaune ou la trouille bleue. Plutôt un bon résumé de la vie primitive, non ?!

Christophe Sacchettini
tofsac@mustradem.com

(1) Ethique et infini, 1982

(2) La dernière fois que le zombie s’est invité chez nous dans la sociologie brûlante, c’était ce malheureux « catholique zombie » créé par Emmanuel Todd, et qui prétendait figurer la catégorie de Français, déchristianisés de fraîche date, qui auraient défilé « pour Charlie » en janvier 2015. Décevant, peut mieux faire.

 

A lire : Barbara Le Maître, Zombie, une fable anthropologique (Coll. L’oeil du cinéma, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2015)

 

L’ami Geoffrey Oryema est parti rejoindre The land of Anaka, emportant avec lui sa guitare, son lukeme et une dernière No ballads ballad…Il nous manquera.

 
FRERES DE SAC 4TET

En bal aux célèbres Jeudis des Musiques du Monde du CMTRA le 5 juillet à Lyon, à Tramonti di Soto (FESTinVAL en Italie) le 11 août; en concert en la belle petite église d’Entraigues / St-Jean d'Arves (73) le 22 juillet, à St-Ismier (38) le 13 août. 

En attendant, nouveaux morceaux et nouveaux teasers sur le site.

 

 
GROENLAND MANHATTAN

Suite de la tournée « success story » du BD-concert proposé par Tony « Guy Hoquet » Canton, Stéphane Milleret et Sébastien Tron le 8 juillet à Cosne d'Allier (03).

Infos ici 

Le CD de la BO du spectacle sortira prochainement - Souscription à télécharger ici 

 
STAGE D’ETE

Bientôt complet, notre stage d’été cuvée 2018 de St-Ismier (12 au 18 août). Les nouveautés cette année : violon avec Nicolò Bottasso (complet !) et guitare avec Sylvain Quéré. Il reste aussi de la place en vielle à roue, en flûte à bec et en cornemuse !

Le nouveau site de Mydriase 

 
TRAD IN MARCIAC

La 2e restitution des JazzTer Trads 2018 aura lieu le 10 août (à Marciac). Cette 11e édition d’un stage de musique d’ensemble « Jazz et trad » est encadrée par Stéphane Milleret, Camille Raibaud, Jean-Christophe Cholet et Christian Salut.

 
BROTTO-MILLERET

Les Messieurs Propre du diato se produiront à Puis-Reig (Espagne) le 7 septembre, au festival Berguedà Folk.

 
GENEVIÈVE CHUZEL

Vous avez rendez-vous pour danser avec elle le 15 septembre à Hermillon (73), dans le cadre de la biennale participative Graines de Maurienne. Elle y sera accompagnée par Frères de Sac duo.

 
VIDÉOS PEDAGOGIQUES

Cette année, MusTraDem produit deux séries de vidéos pédagogiques : la première saison dédiée à la clarinette et clarinette basse avec Jean-Pierre Sarzier, et une nouvelle saison d'accordéon diatonique avec Stéphane Milleret.

Rendez-vous en septembre sur la boutique. 

En attendant, vous avez toujours :

  • la 1e saison des cours d’accordéon chromatique (boutons + touches piano) de Patrick Reboud. Ce mois-ci : Vivement vendredi (Jean Banwarth). 
  • la 2e saison des cours d’accordéon diatonique en ligne par Stef Milleret

Vous pouvez soit vous abonner et profiter de la progressivité, soit acheter toute la saison d’un seul coup.

 

 
PIGNOL / PLASSARD

L’épisode #23, joué par Denis Plassard, de la mini-série Le corps de la ville réalisée par Nicolas Habart, est visible ici. Musique : Norbert Pignol.

L’inusable spectacle Rites sera en « tournée CCAS » en version duo (Denis Plassard et Xavier Gresse) du 8 au 16 août entre Saint-Lary-Soulan (65) et Capbreton (40).

CD toujours à la boutique, à réécouter ici.

 
COPINAGE

Le spectacle De la terre dans l'canon, plein de photos de zombies de 14-18 qui jouent d’instruments bizarres, tirées du livre de Claude Ribouillault La musique au fusil, jouera le 6 juillet à Gresse-en-Vercors (38) et le 24 à Mens (38). http://www.lesbatiesonnantes.org

Sophie Boucher expérimente actuellement les percussions corporelles appliquées aux danses trad et recherche des danseurs-musiciens-cobayes dans la région de Grenoble.
boucherso@gmail.com 

 

 

 
LA BOUTIQUE

Les nouveautés maison

DJAL « Quarterlife » - CD
René Zosso « Penser modal - Approche théorico-pratique de la modalité occidentale » - DVD Coup de Coeur Charles Cros 2018 ❤️❤️❤️❤️❤️

Les galettes de l'AEPEM

AUVERGNATUS (Blanchard / Dupré / Lenormand / Restoin) - CD - (Cha ch'est bien ! ❤️)
Lo cinc jaus "Vara vau" - CD
Jean-Luc Guéneau et Gilles Poutoux "Chemin de la Bergaudière" - CD

Vous qui entrez ici, laissez votre carte bleue !!

 
          
 
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