Mustradem - Musiques Traditionnelles de Demain
Newsletter #35 juillet août 2015
Édito Le Son c'est bon

Faire un disque, dans le temps c'était toute une aventure, mes chers petits. Nous partions en studio 3 semaines en continu, nourris de kebabs-sauce-blanche, de Kronenbourg, de clopes en tous genres et de fraises Tagada ; nos compagnes faisaient semblant de ne pas faire la gueule. Nous sortions quand nous étions contents. Pour nous contenter, il ne fallait à Dédale et Obsession pas moins qu'un 6e membre : ce fut Pascal Cacouault, sans qui, pendant les 3 ans de nos débuts, nos oreilles restèrent orphelines, flasques, quasi sans usage. A nous qui fabriquions du folk mais rêvions en contrebande une musique inouïe, comparable en audace aux grrrrands groupes des mythiques années 70, il fallait un magicien de la fréquence, un aède de la sinusoïde, un mythe de la caverne sonore, flamboyant en cave comme à l'air libre du concert, en un mot seul maître de la palette magique qui d'un son fait une image, et dont parlent poètes et chercheurs (1). Celui-ci, outre son talent (alliage d'une ouïe redoutable, d'une solide culture humaniste et d'une force de travail hors du commun), était capable quasi en même temps d'équaliser une façade et d'entretenir un barbecue, abandonnant d'un coup un exposé sur les neurones du ventre humain ou le système bancaire en Patagonie, pour attraper une guitare et chanter Brassens.

Pascal était notre atout maître : nous l'emmenâmes partout dans nos bagages. Nous assistions chaque fois au miracle renouvelé : le public renaissant à ses propres oreilles, les danseurs se réveillant au beau milieu d'une mazurka, revivant cette éclosion foetale dont l'oreille humaine évoque la forme, les organisateurs, joues ruisselantes de gratitude, déchirant rageusement les contrats de stars du trad programmées après nous mais venues (les malheureuses !) sans magicien du son…Danseurs et auditeurs réconciliés, partant main dans la main s'ébattre dans nos paysages sonores qui venaient colorer cette contrée un peu rugueuse qu'était encore le folk des années 90 (2)...

Le béotien que j'étais - à défaut d'en maîtriser le maniement réel - ouvrit ainsi son champ lexical à tout un vocabulaire ésotérique : console 48 pistes analogiques…micro hypercardioïde…Shoeps à lampe…loi de Laplace…Durant les nuits entières que durèrent ces années, les mots dansaient dans mon âme autant que dans mes yeux les corps mouvants du samedi soir. Le temps passa. Les bandes magnétiques sur lesquelles Pascal notait à la main les points de montage, et les mixages-ballets chorégraphiés en temps réel, tous ensemble autour de la console-paquebot, firent place au tout numérique, aux écrans en couleurs et à la tablette-façade de poche. Le talent resta, et s'adapta. Pascal parti un temps vers d'autres qui s'arrachaient ses compétences, nous connûmes d'autres thaumaturges du potard : Thierry Ronget, Richard Bénétrix…Tous également musiciens, chanteurs et bâtisseurs, caressant la musique par tous ses reliefs. Tous trois sont aujourd'hui équipés en home studio. Pascal a entièrement bâti son studio de ses mains, dans son jardin en Val de Saône, où il enregistre à tour de bras. Il suit aujourd'hui en scène Antiquarks, Sébastien Bertrand, d'autres encore…et nous, bien sûr.

Oui. Ben les amis, vous qui nous aimez, et qui voyez nos rêves s'échapper par les trous de nos yeux, j'ai à vous engueuler. Car Pascal, qui est aussi un bon vivant, ne dédaigne pas de nous rejoindre chaque année à St-Ismier où il encadre, en binôme avec le précieux Daniel Saulnier, un stage "mixage et diffusion de concert" qui devrait faire le plein…si ce que nous avons tenté depuis 20 ans avait porté ses fruits. Or voilà que le mois d'août arrive, et les candidats au stage son ne s'y bousculent pas. A tel point qu'il est question de l'annuler, comme l'an dernier. D'un strict point de vue moral, il serait scandaleux que Pascal prenne des vacances pendant qu'on bosse (il peut encore, même à son âge, supporter une saison sans vacances, comme tout le monde) au lieu de venir vous dispenser ses secrets les plus intimes.

Aussi je lance un appel : les plages c'est la loose, jouer de la musique encore plus ; la sculpture sonore, voilà l'avenir ! Inscrivez-vous, il est encore temps. Quand les grands de ce monde et le patronat auront généralisé l'intermittence à la suite de la RSPM (Révolution Salariale Pacifique Mondiale), sur scène, y aura pas de place pour tout le monde. Rester dans l'ombre et tirer les ficelles ; voilà le refuge de l'intelligence (3).

Christophe Sacchettini - tofsac@mustradem.com

(1) sur la synesthésie (faculté d'associer différents sens, ici musique et couleurs), voir Olivier Sacks, Musicophilia (Seuil, 2008).

(2) Heureusement que ça a changé, hein !

(3) Et pendant que vous y serez à remplir votre bulletin, inscrivez donc aussi votre grand-mère ou votre petite soeur en stage "musique bretonne", "cornemuse" ou "violon découverte", où ça n'est pas la foule non plus.

 
          
 
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