Mustradem - Musiques Traditionnelles de Demain
Newsletter #26 janvier février 2014
Édito Ordre de mobilisation générale

Chers amis, l’heure est grave. Ca chauffe, chez nous. Jusqu’ici, on n’a pas voulu vous embêter avec nos petites misères, mais l’amitié c’est aussi partager le pain noir, et nous vous devons de l’Information, du saignant tous les deux mois : si nous fermons boutique du jour au lendemain (1), vous vous sentirez bien seuls, nous savons cela. Aussi sommes-nous résolus à ne pas vous celer plus longtemps la vérité : le cap 2014 sera dur à passer. Non non, pas de fleurs, de couronnes ni d’oranges (2). Si l’histoire mustradémienne s’arrête là, on fera autre chose ailleurs, c’est tout et c’est la vie. Mais le temps n’est pas venu, mes chers concitoyens, de nous bavoter dessus en chevrotant, le coeur serré, de cesser le combat.

MusTraDem est une association non subventionnée. Elle est bien gérée, pas trop endettée. Les budgets sont construits de façon à ne pas jeter l’argent par les fenêtres. Malgré cela nous traînons un déficit endémique, que l’on peut attribuer à de nombreux facteurs, et analyser de plein de façons différentes. Il en ressort, entre autres, qu’il nous est chroniquement difficile d’investir dans des projets rentables. Et voici la stagnation, et bientôt la récession, car devant l’absence de “trésor de guerre”, de fond de commerce, chaque période – prévisible - de manque de trésorerie, nous fait serrer les fesses un peu plus chaque année.

Hélas hélas, soupire le chroniqueur seul face à l’Infini, quelle leçon, quels enseignements tirer du malheur qui nous frappe ?

Eh bien (3), on peut tout d’abord noter un paradoxe : militants, par principe, de la culture subventionnée, nous prouvons depuis 20 ans qu’on peut aussi faire sans. Ça ne marche pas aussi longtemps que les impôts : la preuve.

Ensuite, nous pouvons examiner ensemble les raisons qui font qu’on en est là. On peut certainement changer des grosses bricoles dans le fonctionnement de l’asso et on va le faire – nous n’avons guère le choix -, mais force est de constater que la conjoncture qui nous malmène ne dépend pas de nous. Face à cela, l’argent public reste le meilleur régulateur. C’est un principe général qui semble encore mal compris – je parle ici d’une frange du milieu trad saisi d’une poussée de fièvre autarcique à l’annonce de la faillite des Rencontres de Luthiers et Maîtres Sonneurs d’Ars (4), et qu’une machine à remonter le temps dépose tout soudain en 1975. Là, des créatures affriolantes en jupons et patchouli accueillent le malheureux barbu, hagard, à l’huis d’un bal folk dont l’entrée coûte ½ franc – reversé au comité pour la légalisation de l’avortement (5) – où l’on prodigue à l’impétrant de suaves caresses, lui faisant miroiter les 343 Salopes s’il promet sa voix à l’Union de la Gauche. Dans l’Ile aux Enfants, l’argent n’existe pas, et le travail est un mal nécessaire. Aujourd’hui, c’est l’inverse : chez nous le travail est source de joie et d’épanouissement. Bref, pour certains il semble que la seule façon de “sauver” le festival – comme si c’était une obligation – c’est de revenir à de saines valeurs : on serre les cordons de la bourse, on se retrouve au milieu de la place du village, on compte les troupes et on tue un sanglier après avoir pendu le barde. Et surtout, on ne dépense que ce que l’on a mis de côté, bien au chaud dans le bas de laine.

C’est une chose de penser “décroissance” et économies, une autre de prôner abstinence et frilosité. De l’écologie au protestantisme, il y a une marge. Et une structure qui oublia de faire évoluer son projet avec un minimum de réflexion et de prosélytisme, se trouva fort dépouvue quand le public s’en fut allu. Il faut donc pour cela réfléchir, inventer, proposer et investir.

Ainsi, être de gauche (6), ça n’est pas refuser l’argent, c’est se demander à partir de quelle limite le fait d’aller le chercher là où il est devient contraire à nos convictions. Essayer de faire sans, c’est possible mais risqué, comme nous en faisons aujourd’hui l’expérience. Partir du principe qu’il n’y en a plus nulle part, c’est retourner à la préhistoire, et céder aux sirènes du Figaro ; c’est faire comme si nous n’étions pas d’une communauté dont le Conseil National de la Résistance traça en 1944 – en plein cauchemar – les principes de vie : droits égaux pour tous, redistribution et solidarité. Et c’est aussi parce qu’une bonne partie de la droite s’emploie (naturellement, pourrait-on dire) à vider de sens ce vocabulaire – avec la complicité de la “gauche” sociale-libérale – qu’il faut se méfier des prophètes de la pauvreté, prompts à pleurer que l’argent a disparu quand il est, en fait, dans leurs poches. C’est là que certains réflexes “vertueux” issus du folk et des années 70, trouvent aujourd’hui un étrange écho dans la vulgate ultralibérale : on prend vite ainsi pour des pauvres ceux qui prônent la pauvreté (et la prise de risque…pour les autres), jusqu’à ce qu’on s’aperçoive que ce sont des riches déguisés. Ce refrain à la con, mine de rien, fabrique aujourd’hui l’air du temps à tous les niveaux d’organisation : les associations, les collectivités, l’Etat. Avec le centenaire de 1914 qui s’apprête à nous tomber sur la tête, et son avalanche de moraline (c’est ce qui reste quand il n’y a plus de sous), on n’a pas fini de s’en souvenir.

Enfin et pour finir, quand on sent passer le vent du boulet, on prend un peu de temps pour redéfinir son identité, et rien ne se décrète moins. L’identité, ce mirage, cette incernable nuée ; au carrefour de la mémoire et de l’innocence.

Christophe Sacchettini - tofsac@mustradem.com

(1) Deux pubs subliminales dans le même bout de phrase, pas mal non ?!!...

(2) Pour les dons, reprises et autres futilités matérielles, appelez directement le bureau, prenez votre ticket, et ne marchez pas sur les pieds de Bernard Tapie qui est peut-être juste après vous dans la queue.

(3) et non pas “et bien”, comme ça se lit parfois. C’est une apostrophe, une interjection, tout est dans le ton ! “EEHhhhh bien, toi, là, François Hollande, ici tout à l’heure ! Tu as encore fait du joli !” Franchement, remplacer une injonction par une conjonction de coordination, vous trouvez que ça ressemble à quelque chose ? Non, mais dites ?

(4) Car il eût été immoral que notre faillite n’entraînât point celle d’autrui plus gros que nous. Ça n’est pas la première fois que DJAL porte la poisse à des structures nous ayant naïvement accueilli en leur programmation, et il semblerait que notre passage à Ars l’été dernier ait vérifié l’adage “Tu veux couler ton bal ? DJAL, c’est fatal !!”

(5) Il a été légalisé l’année précédente, mais quand on aime on ne compte pas...

(6) Un problème à être de gauche, c’est qu’on se pose des tas de questions a priori inutiles. Ainsi, si je vous fais remarquer que les membres du collectif MusTraDem sont tous dans la force de l’âge, pas trop moches ni trop débiles, de surcroît pétés de talent, et que malgré tout cela le collectif va mal, et si j’ajoute “c’est injuste, on ne mérite pas ça”, vous compatirez, mais par devers vous, vous penserez immédiatement que nous n’avons qu’à nous bouger, et vite; avouez. C’est de gauche ou de droite, ça ? Oh, et puis recorder (flûte en anglais).

 
          
 
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