Mustradem - Musiques Traditionnelles de Demain
Newsletter #10 mai juin 2011
Édito Viva la muerte

ou : "L'usage criminel et délicieux du monde" (Jean-Pierre Bastid, alias Jean-Loup Grosdard)

Il y a 5 ans, Christian Massault et Jean Blanchard, pour le CMTRA (1), saluaient la demande du Président de la République Française de ratifier la Convention pour la Sauvegarde du Patrimoine Culturel Immatériel de l’Unesco.

Le 22 avril 2011, le Ministère français de la Culture fait entrer au Patrimoine Culturel Immatériel français, rien moins que la tauromachie. Malgré une minimisation immédiate, par le représentant de l’Etat, des conséquences induites, cela n’en constitue pas moins un premier pas vers son inscription sur la liste représentative du Patrimoine Culturel Immatériel (PCI) de l’humanité.

Cette inscription permet à l’Etat qui l’obtient d’engager « les mesures nécessaires à la sauvegarde du PCI présent sur son territoire. » (2)

Rappelons que la France a notamment fait inscrire sur cette liste, depuis son ouverture en 2008, les pratiques du compagnonnage, de la fauconnerie, la tapisserie d’Aubusson, le Maloya ou la tradition du tracé dans la charpente française. Elle a également coopté, à une deuxième liste dite « de sauvegarde urgente », le cantu in paghjella de tradition orale en Corse.

La procédure étant loin d’être bouclée, pas la peine néanmoins d’attendre 2012 pour s’interroger sur les motivations d’un gouvernement qui, pour donner suite à un lobbying bien négocié, n’hésite pas à faire figurer aux côtés de trésors incontestés du patrimoine mondial, une pratique ponctuelle, très enclavée, et contestée sur l’ensemble du territoire national, pratique consistant à torturer lentement et publiquement un animal, jusqu’à sa mort inéluctable (3).

Piteuse manœuvre préélectorale ? Soit. Si la mesure est adoptée, la chose constituerait, sauf erreur, la première pratique mortifère inscrite au patrimoine de l’humanité. En attendant, la Convention prévoit « l’exigence du respect mutuel entre les communautés, groupes et individus », sans préciser si la communauté taurine est bien comprise dans le processus. Ni si les flaques de sang répandues sont conformes aux « principes d’un développement durable ».

On peut donc bien penser que ce n’est pas pour demain.

On peut aussi se demander pourquoi en période de crise, de frilosité, d’offensive ultra-libérale et de menace de l’extrême droite, ce sont toujours les pires saloperies qui sont mises en avant par les pouvoirs publics, au prétexte que celles-ci seraient issues d’une « tradition ». Le Front National gronde sur 2012 ? Un bon gros chiffon rouge pour rhabiller les grosses fesses poilues de l’identité nationale, aucune chance que ça passe mais le coup réussit toutes les semaines avec l’Europe : vous voyez bien, nous on pense à vous, c’est les technocrates de Bruxelles qui veulent pas. Salauds.

Ainsi, il faudra surveiller les motifs de refus éventuel de la Commission. A la place des Bretons de l’association Dastum, qui viennent de poser officiellement la candidature au PCI du fest noz (4), je me demanderais si c’est bien le moment, et si ce contexte ne discrédite pas l’ensemble de la procédure…Si les opposants à la corrida obtiennent gain de cause au motif que celle-ci n’existe en France que depuis 1852, et ne peut de fait pas être assimilée à une tradition, ça n’est pas demain qu’on dansera le plinn dans les couloirs de l’Unesco à Genève ou à Bruxelles !

(En attendant, une enquête en bal folk, par exemple, menée par d’audacieux sociologues, cernerait mieux les contours d’un PCI censé procurer, tel un liquide à bulles, un « sentiment d’identité et de continuité ». Si la formule en est réductible génétiquement, nul doute que les générations futures sauront en profiter bien mieux que nous, chipoteurs insatisfaits.)

Et si la mesure passe, on ne voit pas ce qui empêcherait la Chine ou les Etats-Unis de demander l’inscription au Patrimoine Culturel Immatériel de la peine de mort, par balle ou injection létale. C’est bien plus vieux que la tauromachie, et les menaces qui pèsent sur elle sont sérieuses. Il suffirait peut-être de la rendre publique, revivifiant ainsi un usage pittoresque de notre beau folklore, pour en assurer longtemps la sauvegarde.

Christophe Sacchettini - tofsac@mustradem.com

(1) Lettre d’infos du Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes, édito de l’hiver 2006

http://www.cmtra.org/spip.php?article151

(2) Le texte de la Convention est à consulter sur le site de l’Unesco : http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00006

(3) Je précise que personne à MusTraDem, à ma connaissance, n’est (encore) membre d’un Comité pour l’abolition de la corrida…

(4) http://www.dastum.net/FR/patrimoine-culturel-immateriel.php

 
          
 
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